Sur le plateau de Millevaches, les usages forestiers et les pratiques sylvicoles sont au cœur de conflits politiques dont l'intensité s'est considérablement accrue au cours des dernières années. Lutte emblématique de ces tensions, la défense du Bois du Chat est souvent présentée comme une « bataille entre représentants de la filière sylvicole et écologistes »[1]. Les premiers résultats de mon enquête ethnographique sur ce terrain tendent cependant à montrer que les enjeux de ces conflits forestiers ne peuvent se résumer à cette polarisation. Leur ligne de front traverse en effet la filière sylvicole elle-même et engage des visions concurrentes des usages de la forêt portées par des militants écologistes autant que par des propriétaires forestiers et des professionnels engagés. Dans cette communication, je voudrais montrer comment des facteurs relevant de la sociologie économique locale se conjuguent aux effets du changement climatique pour dessiner les contours d'un « conflit de transitions » dans lequel les acteurs de la filière forêt-bois jouent un rôle clé. Je voudrais ainsi contribuer à répondre aux questions « quels regards les acteurs des territoires, les acteurs de la filière et les habitants portent-ils sur les forêts ? Perçoivent-ils les transitions en cours et quelles représentations y associent-ils ? » posées par l'axe 2.
Depuis la fin des années 1970, le modèle sylvicole local est contesté au cours de mobilisations rassemblant habitants néo-ruraux et natifs autour de préoccupations communes mais aussi d'intérêts et de visions de la forêt spécifiques. Depuis 2020, une organisation joue un rôle central dans ce processus de politisation des usages forestiers : le syndicat de la montagne limousine. Celui-ci fédère des professionnels de la filière sylvicole, militants écologistes et habitants du plateau de Millevaches autour d'un projet de transition forestière reposant sur les notions de forêt usagère, de filière bois alternative et sur une conception de la forêt comme bien commun. Il mène un travail d'information auprès des propriétaires forestiers, de plaidoyer institutionnel, de lobbying, de gestion de parcelles, de veille et d'action directe contre les coupes rases mais aussi de formation et de diffusion de connaissances sur les pratiques sylvicoles alternatives. Une action multiforme qui concourt donc simultanément à l'appropriation citoyenne d'une expertise sylvicole, à sa mobilisation politique et à sa mise en pratique.
Je décrirai le type d'argumentation porté par cette organisation en montrant comment il s'est construit au contact d'un réseau hétérogène d'associations locales et nationales. J'interrogerai certains paramètres déterminant l'efficacité de chacun de ses modes d'action auprès des propriétaires forestiers comme des pouvoirs publics et montrerai notamment comment la coopération entre des experts professionnels de la filière bois et des militants politiques expérimentés a permis au Syndicat de la montagne limousine de se constituer en interlocuteur légitime auprès des institutions politiques locales (préfectures, mairies, PNR).
Mots clés : Mobilisations, Transition forestière, filière sylvicole, Sociologie rurale
Cette communication pourra être rédigée et prononcée en anglais.
[1]Gaspard D'allens, « Le Bois du chat, symbole de la lutte entre deux visions de la forêt », Reporterre, 9 mars 2023, https://reporterre.net/Le-Bois-du-chat-symbole-de-la-lutte-entre-deux-visions-de-la-foret