Le réchauffement climatique produit une cascade d'incertitudes où science et décision se confrontent (Bosboeuf P., 2022). Il produit aussi concrètement un cumul d'aléas, facteurs de dépérissements forestiers massifs et accélérés amenant à réinventer les modes de gestion forestière (Bastien et al., 2022). Cette transition inédite remet en lumière la portée d'intérêt général de la forêt (Blairon K., 2023). Par suite, sur les territoires confrontés aux enjeux de maintenir une forêt multifonctionnelle, le binôme propriétaire – gestionnaire, enclos dans ses décisions, est controversé par la société civile. En quoi les pratiques de coopération multi-acteurs et une approche rénovée des communs, permettent-elles de redistribuer les règles et les responsabilités en forêt, en offrant un corps légitime à la mobilisation de nouvelles parties prenantes ?

L'Institut de France - Fondation d'Aumale, propriétaire du Domaine forestier de Chantilly (6300 ha, périurbain Grand Paris), confronté au dépérissement constaté de 30% de sa chênaie, est allé au-devant des chercheurs et de la société civile, soutenu par le PNR de l'Oise-Pays de France et ses élus, afin de déployer une stratégie d'engagement « Ensemble, Sauvons la forêt de Chantilly » (ESLFC). L'expérimentation fédère depuis 4 ans les chercheurs de plus de 15 laboratoires des sciences de la vie et de la terre ; un collectif de 400 bénévoles, dont 50 actifs sur le terrain (mesures scientifiques, plantations expérimentales et suivi) ; un Comité exécutif multi-partenarial ; enfin un groupe prospectif d'une quarantaine d'acteurs travaillant en ateliers pour envisager des scenarios à horizon 2050, au-delà du « Plan d'Aménagement de crise » ONF centré sur la prochaine décennie.
La communauté ESLFC découvre la complexité inédite de savoirs et de logiques à articuler. Et elle se heurte au pari inhérent au processus prospectif lui-même. Entre une stratégie forestière appuyée sur la prévision « aujourd'hui guide demain » et la méthodologie inverse où «le futur (est) ordonnateur du présent» (Berger G. in Simonin JF, 2015) imposant d'imaginer une forêt désirable, l'expérience cantilienne renseigne sur ces écueils. 

Trois années d'observation participante et dix-huit entretiens individuels contribuent à documenter des états processuels dont :
(i) La transformation systémique de quelques agents monoemployeur à une pluralité d'acteurs aux statuts et modalités d'intervention hétérogènes ; elle invite à caractériser leurs intérêts catégoriels et leurs légitimités respectives dans la démarche ESLFC, selon des méthodes d'analyse socio-organisationnelle de la coopération territoriale multi parties prenantes, en France et à l'étranger.
(ii) L'enthousiasme de la dynamique collective naissante, les seuils d'essoufflement et de rebonds. En mobilisant les grilles de lecture rénovées d'une Approche par les Communs , un exercice consiste d'une part, à identifier comment et à quels moments l'alternance de apprendre, faire, se projeter est motrice de la cohésion (CoopdesCommuns, 2023) et d'autre part, à repérer le(s) positions, postures et in fine les rôle(s) des tiers actant, incluant les chercheurs, (Beji-Becheur et al. 2024) au sein d'une communauté hétérogène, à plusieurs échelles institutionnelles. 
(iii) Le partage et l'entretien d'un socle culturel partagé, incluant ses valeurs, ses controverses et ses imaginaires, dévoile l'effort à consentir par les porteurs de savoirs comme par les apprenants (Les Chercheurs Ignorants, 2015), chacun pouvant endosser tour à tour l'une ou l'autre position selon le champ concerné - sciences, technique, économie, usages, etc - afin de s'inscrire dans le processus d'innovation.

Une démarche réflexive et évaluative amorcée avec le Cerefige (programme C4Change) en regard de la méthodologie d'innovation collective Living Lab' (Arnoult M., 2021) sera rapidement évoquée.