Situé au sud du département de la Sarthe, la forêt domaniale de Bercé (5 400 ha) illustre pleinement les liens complexes et évolutifs qui unissent les sociétés et les espaces boisés. Exploité depuis le Moyen Âge, le massif de Bercé est aujourd'hui réputé pour ses futaies de chênes, produit de plusieurs siècles d'aménagements et de pratiques sylvicoles. Autour de cette forêt s'est aussi construit un rapport affectif particulier entre les habitants du territoire et ces paysages boisés, comme en témoigne l'ancienneté des expériences, pratiques et aménagements récréatifs.
Dans une optique de gestion durable et au gré d'une écologisation des sociétés, les gestionnaires forestiers cherchent aujourd'hui à intégrer une demande sociale croissante de « nature » et les enjeux liés à la préservation de la biodiversité. Mais au-delà de la revendication d'une gestion multifonctionnelle, la forêt de Bercé est l'objet d'un processus de patrimonialisation visant à préserver et transmettre ce « patrimoine naturel », comme en atteste la labellisation Forêt d'Exception® depuis 2017 et tout récemment renouvelée. Cette patrimonialisation guide les orientations futures, notamment en termes d'adaptation aux dérèglements climatiques par le biais d'une gestion forestière intégrée présentée comme une vitrine.
La patrimonialisation implique un processus complexe qui mobilise une diversité d'acteurs. Pour autant, l'attention a surtout été portée sur les acteurs institutionnels, alors que l'aspect patrimonial des forêts tient peut-être tout autant à l'appropriation habitante. Nous proposons pour cette communication d'analyser le rôle des habitants dans la construction sociale et sensible du patrimoine. Qu'est ce qui « fait patrimoine » pour les résidents ? Quels regards portent-ils sur les évolutions du massif forestier et les défis à venir ? Intégrant une perspective historique, la recherche menée vise ainsi à étudier les ressorts de la fabrique habitante de la forêt de Bercé et à analyser les modalités selon lesquelles l'appropriation habitante contribue au processus de patrimonialisation de la forêt. Les résultats sont issus d'une enquête qualitative menée auprès d'acteurs du territoire et d'habitants usagers de la forêt. Plusieurs méthodes (entretien semi directif, observation, cartographie participative) sont déployées pour rendre compte de ce processus de patrimonialisation et étudier plus précisément les rapports sensibles à ces espaces et leur prise en compte pour penser la forêt de demain.
Les résultats mettent notamment en avant une pluralité des rapports à la forêt de Bercé et des représensations de ce qui fait patrimoine. L'analyse permet de faire émerger plusieurs idéaux-type, de « l'ambassadeur » à la « sentinelle avertie », rendant compte d'une appropriation différenciée de l'histoire sociale et environnementale de la forêt, mais aussi des enjeux liés à la mutlifonctionnalité de cet espace (paysages hérités, préservation de la biodiversité, opposition à l'industrialisation etc). Ces rapports particuliers se traduisent par ailleurs par un engagement habitant contribuant au processus de patrimonialisation de la forêt de Bercé.