Notre communication vise à illustrer les enjeux de la transition climatique des massifs forestiers. Il s'agit de rendre compte des défis de la transposition de la multifonctionnalité de principe à une multifonctionnalité de fait par l'enquête à l'occasion du renouvellement de la charte du PNR des Vosges du Nord, assistée par une équipe transfrontalière de chercheurs (Clim'Ability, 2016-2019, Interreg V).
L'expérience du PNR a inspiré doublement la recherche. D'un point de vue méthodologie, l'assistance du PNR a permis d'identifier les décalages entre les positionnements des acteurs du territoire pris individuellement (entretiens) des positionnements de groupe (focus group). Par ailleurs, elle a permis de constater la difficulté d'un travail cumulatif. A chaque nouvel atelier collectif émerge le sentiment que tout peut être à nouveau remis en question. C'est en réponse à cet enjeu que l'équipe Clim'Ability a testé l'exploration par la méthode de conception Inventive (TRIZ) auprès de différents acteurs participant à la vie et à l'entretien du massif forestier du Val d'Argent (enquête en cours). Issue des sciences de l'ingénieur, elle permet d'identifier des bouquets de solutions en réponse à une situation problématique partagée par l'ensemble des acteurs concernés. Parce qu'elle est assistée par un logiciel qui permet un stockage et traitement quantitatif, l'application de la MCI assure une meilleure continuité. Chaque séance étant consignée dans des graphes de problèmes et solutions partielles identifiées par les acteurs. Par ailleurs, le logiciel assure un traitement important de données et le croisement de variables permettant d'évaluer le poids relatif des différentes solutions sur la résolution des problèmes.
D'autre part, d'un point de vue théorique, la recherche de solutions acceptables pour l'ensemble des acteurs et le respect de la multifonctionnalité rend compte du problème de la représentation des écosystèmes (des non humains) qui demeurent « sans voix ». Ce constat interroge. Comment parer cette vulnérabilité ? Qui peut se charger de parler au nom de la forêt ? Les scientifiques ne sont pas par définition exempts de biais à l'égard des intérêts des forêts, pas plus ni moins que les divers publics concernés qui se mobilisent en faveur de leurs diverses pratiques.
Les résultats rendent compte de la nécessaire coopération pour faire advenir du « commun ». La notion de multifonctionnalité met en jeu des « cités de justification » (Boltanski, Thévenot) incommensurables de sorte que la recherche d'un consensus s'apparente à la résolution des conflits entre grandeurs. La figure de la gestion patrimoniale demeure incontestablement la plus appropriée au respect des différentes obligations et exigences propres à chaque cité. La stabilisation de cette figure demeurant toujours sujette à des fluctuations, elle est suspendue à l'engagement et l'effort constants des acteurs du territoire. A cet égard, le rôle de médiateur endossé par le PNR est crucial, mais non suffisant, ainsi qu'en témoigne l'animation des arènes hybrides qu'il a assurée ainsi que les partenariats qu'il a sollicités pour faire exister sur le territoire des démonstrateurs pour une filière locale soutenable. Ces derniers étant autant d'illustrations de débouchés techniques pour les feuillus dans le bâtiment. Ces efforts se heurtent cependant à la réalité des marchés bien constitués de la filière forêt/bois à l'international qui favorisent la fuite des ressources naturelles, freinent l'émergence et l'assise de compétences locales et dissuadent par les prix les clients potentiels de biens immobiliers en bois local.