La succession de grands incendies ces dernières années a été interprétée par la communauté scientifique internationale comme l'avènement d'une ère planétaire de « mégafeux », ou d' « évènements d'incendies extrêmes ». Ces termes désignent des incendies à la puissance de combustion exceptionnelle, impossibles à contrôler, d'une étendue inédite et aux conséquences écologiques et humaines dévastatrices. Contrairement aux autres crises écologiques plus lentes et difficilement visibles au quotidien, les « mégafeux » délivrent des images de brasiers apocalyptiques rendant tangibles les enjeux abstraits du changement climatique et de l'Anthropocène. Les paysages de désolations qu'ils laissent marquent durablement l'attention médiatique, scientifique et politique, tout en ouvrant de nouvelles réflexions sur l'avenir des forêts. L'objectif de cette contribution est de comprendre en quoi la nouvelle ère de « mégafeux » recompose les imaginaires collectifs, les débats et les politiques publiques autour des territoires forestiers et sylvicoles. Alors que la recherche actuelle sur les « mégafeux » présente un fort biais occidental, notre attention se portera sur le Chili, pays émergent marqué par l'histoire coloniale (avec un conflit toujours à vif entre populations Mapuches, entreprises sylvicoles et Etat) et au modèle de développement reposant sur l'extraction et l'exportation des ressources naturelles, dont le bois et la cellulose. Par son climat méditerranéen et son important couvert forestier, le pays est particulièrement propice au feu. Cependant, les étés 2017 et 2023 constituent du jamais vu : près de 500 000 hectares brulés soit 10 fois plus que la moyenne annuelle habituelle, des dizaines de décès, des milliers d'habitations détruites et des émissions de CO2 colossales. De quelle manière ces « mégafeux » ont-ils reconfiguré le regard porté sur les forêts et les plantations sylvicoles au Chili ? Comment ce changement de vision se traduit-il dans les registres d'actions des acteurs du monde forestier, en particulier dans les politiques publiques ? Alors qu'une « transition » des forêts chiliennes vers un nouveau régime de feu semble en cours, il s'agit de comprendre comment celle-ci est perçue et interprétée par les habitants, les acteurs des territoires et de la filière (Axe 2). De plus, nous nous intéresserons à l'éventuelle « transition » du modèle forestier qui en résulte, à travers de nouvelles mesures et lois en discussion (Axe 3). La méthodologie déployée est qualitative, elle repose sur l'analyse de la littérature grise (corpus législatifs, rapports institutionnels, etc.) ainsi que sur 5 mois de terrain en 2023 réalisés dans le cadre de ma recherche doctorale. Ce terrain a permis l'observation des zones brûlées ainsi qu'une centaine d'entretiens auprès de divers acteurs – habitants affectés, institution forestière nationale, entreprises sylvicoles, municipalités, chercheurs, ONG, etc. Dans une perspective de political ecology, ma recherche tend à montrer que selon les acteurs et échelles d'observations, plusieurs cadrages du problème « mégafeu » coexistent, suscitant chacun différentes représentations des forêts et différents registres d'actions pour le futur. Un premier cadrage centré autour du changement climatique global favorise une « climatisation » des politiques forestières. Un deuxième cadrage centré sur les mises à feux criminelles incite à un renforcement de la surveillance des territoires forestiers, par l'œil de l'Etat et des entreprises sylvicoles. Un troisième cadrage centré sur l'inflammabilité accrue des paysages causés par l'extension des monocultures d'espèces exotiques de pins et d'eucalyptus, invite à réimaginer un modèle forestier en mosaïque, doté d'une plus grande hétérogénéité des plantations sylvicoles exotiques et d'une reforestation avec des espèces natives.