Le bois-bûche constitue un angle mort et de la filière bois et mène une existence économique relativement indépendante des autres formes de valorisation du bois. La bûche est en effet une ressource peu stratégique dans le contexte contemporain, relevant plutôt d'une économie paysanne ou domestique, où les échanges se réalisent souvent dans un cadre informel. Pourtant des signaux de changements se font jour : émergence de sites de production industrielle, intérêt renouvelé des particuliers pour le chauffage au bois, soutiens publics aux investissements dans les entreprises productrices. Quels changements et permanences sont à l'œuvre, tant dans la production de bûche, ses usages que sa régulation ? avec quels effets conjoints ? A partir d'un cas d'étude, celui de la Chartreuse, nous rendons compte de mutations en cours, en particulier la construction progressive et partielle d'un rôle stratégique – économique et politique - de la bûche.

Notre enquête procède en trois temps : (1) cartographie des acteurs et dispositifs de l'action publique territoriale en matière de bois-bûche ; (2) recensement des producteurs du territoire, incluant leurs pratiques d'approvisionnement, transformation et vente ; et (3) caractérisation des systèmes d'usage et d'approvisionnement des particuliers. Les résultats s'appuient essentiellement sur des entretiens semi-directifs (12 acteurs institutionnels, 15 professionnels producteurs de bûches, 18 particuliers usagers de bûches, réalisés entre mai et juillet 2023), complétés par des données issues du suivi des Primes Air Bois (PAB) sur trois intercommunalités (2015 – 2023). 

Ce dispositif nous conduit à observer le changement climatique sous deux angles : en tant que force de changement biophysique, qui, en modifiant les dynamiques forestières, interroge la gestion sylvicole et la filière bois ; mais aussi en tant que force de changement institutionnel, qui convoie de nouveaux outils et référentiels pour l'action publique territoriale.

Au plan biophysique, dans un contexte où la santé des forêts se dégrade et les feuillus remontent en altitude, la gestion de ces derniers, longtemps laissée pour compte, devient objet d'intérêt. Ainsi, dès 2019, le Parc entreprend d'évaluer son « potentiel feuillu » et inscrit dans sa Charte Forestière plusieurs actions visant à le valoriser ; la production de bois de chauffe est particulièrement visée.

Au plan institutionnel, ensuite, l'enjeu climat passe entre autres par l'objectif de substitution. Bien que la bûche soit assimilée à la biomasse énergie, elle ne bénéficie pas des mêmes instruments de soutien que la plaquette ou le granulé. La bûche est en effet à la fois une énergie renouvelable et une source majeure de pollutions aux particules fines dans les vallées urbanisées. L'action publique doit donc composer avec ce double statut de la bûche, qui s'additionne à celui d'énergie peu chère, et mise pour ce faire sur une politique d'incitation au renouvellement des appareils de chauffage.

Notre étude montre que c'est avant tout par la « fenêtre » institutionnelle que s'engendrent des changements dans la filière bois, mais avec des effets décalés et différenciés dans l'espace. Quant à la « porte » des changements biophysiques qui touchent les forêts, ceux-ci ne produisent que peu d'effets sur les systèmes de production de bûche, principal débouché des feuillus sur le territoire, du fait de la prégnance des contraintes logistiques et d'accessibilité à la ressource.

NB : Cette communication repose en grande partie sur les analyses développées dans l'article (soumis à la revue Développement Durable et Territoires) : Allain, S., Lopez-Dovina, L., Fatigon, B., Bourhis, F. Mutations de la filière et de la gouvernance du bois-bûche : entre univers domestique, logique de marché et politiques de transition énergétique. Une étude de cas en Chartreuse.