Avec un taux de boisement de 66%, la Corse est la région la plus boisée de France métropolitaine (inventaire forestier 2017-2021). Ce taux est en progression notamment grâce à une diminution du nombre d'incendies et des surfaces parcourues depuis une vingtaine d'années (PPFENI 2013-2022). Ce succès est dû à plusieurs raisons. Parmi elles figure la stratégie de lutte sur les feux naissants, issue de la mission Vulcain (Battesti, 1997), qui privilégie le quadrillage préventif du terrain et l'utilisation des moyens aériens. Pourtant, les services incendies s'inquiètent d'une éventuelle mise en échec de cette tactique et de a progression du couvert forestier autour des espaces bâtis. La diminution de la masse végétale combustible devient un enjeu. Dans ce cadre, la dualité feu ami/feu ennemi (Ribet, 2018) réapparaît. Issue d'une circulation de théories et de pratiques entre l'Amérique du Nord et l'Europe dans les années 1960, l'utilisation du brûlage dirigé dans la prévention de l'incendie s'est largement diffusée. En Corse, les services forestiers et les pompiers pratiquent couramment cette technique, tant dans les futaies d'altitude de pin laricio (nettoyage des sous-bois) que dans les peuplements de l'étage mésoméditerranéen (création de Zones d'Appui à la Lutte). Mais l'utilisation du feu renvoie aussi aux usages pastoraux insulaires. Certains acteurs défendent l'idée d'un savoir-faire traditionnel du feu maîtrisé qu'il faudrait retrouver pour lutter contre la fermeture des milieux (Paoli, Santucci, 2010). Mais cette « culture du feu » (Zask, 2019) a-t-elle vraiment existé ? Car désormais, c'est la crainte du feu qui domine. Et dès lors comment expliquer que le feu puisse être un antidote à lui-même ? Cette communication s'appuie sur un travail pluridisciplinaire issu du projet de recherche GOLIAT de l'Université de Corse. Il a combiné la méthode historique (dépouillement d'archives du XVIIIe siècle à nos jours) et l'enquête anthropologique avec une série d'entretiens qualitatifs des acteurs du brulage dirigé (forestiers-sapeurs, pompiers, personnels ONF, agent pastoraliste...). D'anciens bergers, qui ont utilisé le feu pastoral illégal, ont également été interrogés. Une étude comparative a été aussi menée avec des territoires comme la Sardaigne (Delogu, 2013) ou les Pyrénées (Métailié, 1981). Les résultats de l'analyse de ce corpus montrent, contrairement à d'autres régions, l'existence d'un consensus sur l'utilisation du feu dirigé comme outil de prévention de l'incendie. Les éventuelles oppositions futures sont néanmoins prises en compte et des outils sont d'ores et déjà conçus pour y répondre (un livret des bonnes pratiques de brûlage sous couvert forestier par exemple). Les opérations améliorations pastorales sont plus difficiles à mettre en œuvre. Certains obstacles sont liés avec des problèmes de législation et de foncier. Mais les représentations jouent également un rôle : la question du rapport entre pastoralisme et incendie reste sensible dans la société insulaire.
Bibliographie
BATTESTI A. « Vulcain ou l'histoire d'une tentative pour commencer à changer les choses dans le système ”Feux de Forêts”, par la transparence et la convivialité. Forêt Méditerranéenne, 1997, XVIII (2), pp.143-145.
DELOGU G. M., Dalla parte del fuoco, Il Maestrale, 2013.
METAILIE J. P., Le Feu pastoral dans les Pyrénées centrales, CNRS éditions, 1981.
PAOLI J. C., SANTUCCI P. M. « Le problème des parcours méditerranéens au regard du dispositif de prevention des incendies. Le cas de la Corse ». ISDA 2010, Montpellier, 10 p.
RIBET N., Feu. Ami ou ennemi ?, Dunod, 2018.
ZASK J., Quand la forêt brûle. Penser la nouvelle catastrophe écologique, Premier Parallèle, 2019
https://goliat.universita.corsica/