Lorsque les historiens étudient la forêt sur la longue durée, plusieurs transitions ou ruptures apparaissent au fil des siècles. L'étude de ces dernières permettent d'appréhender la relation étroite entre les espaces forestiers et les sociétés humaines. Elles mettent l'accent sur les évolutions de la gestion forestière, de la succession des paysages forestiers, des objectifs de production différents que l'on a alloué aux forêts au fil des siècles.
Longtemps réservé au phénomène d'accrues forestières et de reprise du couvert au XIXe et XXe siècle, la transition forestière au sens de Mather a-t-elle vraiment eu lieu dans la Morvan ? Y-a-t-il eu par le passé d'autres phases de transition, voire des ruptures ? Ces questions ont constitué l'un des objectifs d'une récente thèse portant sur les paysages forestiers du Haut Morvan montagnard sur la très longue durée, entre la fin du XIIIe siècle et aujourd'hui. Du fait de cette large chronologie, l'enquête s'est focalisée sur les territoires de huit communes soit 324 km². Une approche multiscalaire a été développée sous SIG depuis l'échelle de la parcelle à celle de la région pour appréhender la palette des dynamiques socio-économiques et l'évolution de la règlementation. Cette géohistoire des forêts s'est appuyée sur des sources archivistiques diversifiées, dont des comptabilités et des archives forestières quantitatives permettant de reconstituer de manière précise l'économie forestière et le phasage des différentes orientations forestières au fil du temps. Cette communication s'attachera à évoquer les différentes ruptures et transformations des forêts morvandelles au cours des huit derniers siècles.
Au Moyen Âge, les fonctions forestières sont multiples, orientées vers une demande locale : taillis de chênes pour écorçage, pour le chauffage, la corderie, ou jardinage de la futaie pour le charbonnage et la fourniture de bois d'œuvre, etc. Cette diversité des régimes de conduite des peuplements forestiers interroge. Parmi elle, la futaie feuillue domine largement et sa première fonction est de nourrir les porcs, cela représente la plus large part des revenus seigneuriaux. À partir du XVIe siècle, la hausse de la demande en bois pour chauffer Paris constitue une véritable rupture dans ces régimes de traitements sylvicoles. De vastes coupes blanches sont entreprises pour exporter des bûches vers la capitale par flottage. La haute futaie de hêtres et de chênes est convertie en taillis en l'espace d'une quarantaine d'années. À la forêt médiévale, domestique et nourricière, succède une forêt combustible, spécialisée et assignée à la production ligneuse. Intervenue lors d'une période de croissance démographique des campagnes, cette transition forestière est à l'inverse de celle de Mather observée à l'époque contemporaine, période durant laquelle les accrus et les plantations résineuses se sont répandues.
Sans doute doit-on questionner l'existence de « régime d'équilibre » immuable et envisager une succession de phases de transition tant dans les structures forestières, que dans les fonctions économiques ou les représentations culturelles et normatives.
Aujourd'hui, dans un territoire forestier abîmé par plusieurs siècles de prélèvements intensifs, cette géohistoire est indispensable à considérer dans la gestion forestière à l'heure ou la résilience des forêts est plus que jamais requise dans le contexte du changement climatique.