Le besoin de propositions alternatives à l'exploitation conventionnelle des forêts est devenu une évidence, tant les effets des changements environnementaux affectent les peuplements forestiers et les activités socio-économiques qui s'y déploient. Ce besoin est formulé dans la littérature scientifique ainsi que dans les médias à destination d'un public plus large. Le champ scientifique se borne jusqu'ici à l'étude d'évolutions techniques ou gestionnaires, que rassemble l'expression « sylvicultures alternatives » (Puettmann, al., 2015). Le champ médiatique, lui, fait une place de plus en plus grande aux « alternatives forestières », qui interviennent également dans le domaine foncier ou juridique et questionnent la mise en œuvre du travail au contact des écosystèmes forestiers. Mais ces dernières sont pour l'heure ignorées des sciences forestières, et commencent tout juste à être abordées par les sciences sociales. Par ailleurs, en rester à l'étude des pratiques sylvicoles empêche d'aborder un véritable « milieu forestier alternatif » qui est composé d'acteurs divers, d'associations et réseaux, de normes et de valeurs partagées.

C'est pourquoi nous avons formulé l'hypothèse d'une « culture forestière émergente » construite et transmise par ce milieu forestier alternatif, là même où les acteurs de la filière forêt-bois constatent l'absence de « culture forestière » traditionnelle, c'est-à-dire une culture de forestiers (Bondon, 2024, soumis). En effet, la région où se déroule notre thèse en cours, le Massif central, est caractérisé par des peuplements forestiers jeunes et une faible acculturation à la sylviculture intensive (Dodane, 2009). Pour autant, c'est là que des initiatives pionnières ont émergé et que les expériences les plus abouties ont été identifées. Dès lors, comment une telle culture forestière se consolide ? Autour de quelles pratiques ? Aussi, comment la transmission des normes et valeurs propres au milieu forestier alternatif s'opère-t-elle ? Quelle place occupée par les temps de transmission, formels et informels ? En somme, comment cette culture forestière émergente pourrait passer un certain nombre d'épreuves, à commencer par celle du temps ?

Ce sont ces questions qui seront abordées au cours de la communication que nous proposons. À partir d'une ethnographie menée au sein du milieu forestier alternatif dans plusieurs massifs forestiers du Massif central, nous examinerons comment une culture émergente peut se consolider et perdurer. Pour cela, nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux moments de transmission et de formation portés par les principaux réseaux structurants le milieu forestier alternatif, ainsi qu'aux transformations observées du travail, de son organisation et de sa division en forêt. L'approche ethnographique a profité d'une participation en tant que stagiaire à bon nombre des formations étudiées et de la transcritption in situ des moments de travail observés, donnant lieu à uen descritpion relevant de la méthode ethno-comptable récemment mobilisée par Geneviève Pruvost (2024).

La mise au travail est une épreuve déterminante pour toute activité en cours de structuration : la viabilité d'une proposition alternative est sans cesse questionnée par ses acteurs comme par les observateurs extérieurs. En retour, le travail effectué et la division des tâches aux échelles individuelle et collective sont susceptibles d'être revus, au point de créer une identité collective autour d'une conception commune de l'activité pratiquée (Glinel, 2023). Enfin, si le milieu forestier alternatif cherche à diffuser une culture forestière différente de celle portée par la filière forêt-bois conventionnelle, la mise en oeuvre d'alternatives forestière met au contact des milieux socio-professionnels a priori distincts. Nous verrons que ces rencontres sont autant d'épreuves, parfois recherchées, pour les acteurs du milieu forestier alternatif.