Entre durabilité et transitions : les arbres abattus révélateurs de recompositions socio-culturelles
Véronique Dassié  1@  
1 : Héritages : Culture/s, patrimoine/s, création/s
Ministère de la Culture et de la Communication, CY Cergy Paris Université, CNRS : UMRHéritages UMR9022

Depuis les années 2000, les forêts font l'objet d'une attention croissante, réactivée régulièrement par l'actualité médiatique estivale et les incendies. Les inquiétudes concernant les changements climatiques renforcent l'idée selon laquelle les forêts sont un bien commun qu'il faut préserver. l'émergence de la notion de « vert patrimoine » (Dubost 1996) conduit à leur patrimonialisation. Mais, dans ce même contexte, se développe aussi la volonté d'utiliser des matériaux durables et des énergies renouvelables, que le bois alimente. L'abattage des arbres devient dès lors une question d'autant plus sensible que les besoins en bois ne cessent de croître alors que les vieux bois sont les garants d'un stockage du carbone. La gestion sylvicole est devenue un point de crispation dès qu'il s'agit d'envisager la question du « bien faire » pour les forêts. 

A travers trois situations de terrain ethnographique, il s'agira d'envisager ce qu'il convient au fond de réparer en se préoccupant des forêts pour agir en leur nom. Ce glissement des forêts dans le registre de la « catastrophe patrimoniale » (Isnart et Hottin 2024) interroge. Dans une perspective nourrie de l'anthropologie des engagements patrimoniaux, je propose de considérer l'idée de réparation forestière en tant qu' « opération sociale spécifique » (Barbot et Dodier 2023) qui passe par un soin accordé aux choses pour restaurer l'habitabilité de la planète.

Le premier cas concerne les arbres du parc du château de Versailles, mis à terre par une tempête en 1999 et l'émotion à laquelle elle avait alors donné lieu. La mobilisation pour la replantation des arbres y intervient en tant que consensus paradoxal, au sens où l'a envisagé Olivier de Sardan (2001) dans la mesure où l'idée d'une « restitution fidèle » (Lablaude 1993), qui faisait polémique avant la tempête, s'est alors imposée.

Le deuxième reviendra sur le cas d'une forêt privée et la manière dont son propriétaire conduit sa forêt pour tenter d'infléchir les consciences et transformer la société grâce à travers une approche esthétique et sensible de l'aménagement forestier (Dassié 2020). Ses actions inversent le slogan « penser global, agir local », mode d'action prôné par la militance écologiste car il ne s'agit pas d'appliquer à l'échelle locale une action pensée à l'échelle de la planète mais d'agir au contraire localement pour une transformation globale.

Le troisième, à rebours des premiers cas, concerne les enjeux de l'inscription de la futaie régulière de chêne au PCI. La démarche invite cette fois à décaler le regard de la forêt vers les savoir-faire forestiers. Au-delà des divergences techniques ou économiques, faire le choix d'une futaie régulière ou irrégulière, d'une récolte à court terme ou à plus long terme, d'une régénération naturelle ou artificielle révèle la multiplicité des principes du « bien faire » forestier. 

Nous verrons que les enjeux écologiques ne sont pas seuls concernés dans ces situations et que les manières dont la notion de catastrophe y fait sens appelle des réponses contrastées et des lectures patrimoniales concurrentes. A travers ces diverses formes d'engagements patrimoniaux, se dessinent en effet trois métaphores de la réparation sociétale qui ouvrent des pistes pour saisir les paradoxes des transitions forestières revendiquées.


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