Changement climatique et réappropriation paysanne des écosystèmes forestiers : la gestion sylvicole en question.
Léo Raymond  1@  , Tony Ibanez * @
1 : Environnements, Dynamiques et Territoires de la Montagne
Centre National de la Recherche Scientifique : UMR5204 / FRE 2641, Université Savoie Mont Blanc, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR5204, Centre National de la Recherche Scientifique
* : Auteur correspondant

Cette communication à deux voix s'appuie sur un terrain conjoint, dans le cadre d'une thèse et d'un master en géographie, entre 2022 et 2023 auprès de paysans et de gestionnaires forestiers dans le Parc naturel régional des Préalpes d'Azur. A travers des enquêtes compréhensives (Kauffmann, 2016) menées durant l'élaboration de la charte forestière du Parc, nous avons cherché à comprendre comment le changement climatique revisitait la dichotomie entre agriculture et forêt. Dans cette intervention, nous explorerons comment les discours et pratiques agroforestières tendent à requalifier la gestion forestière (Ibanez, 2023).

Tout d'abord, nous reviendrons rapidement sur le contexte forestier local. En effet, les écosystèmes forestiers des Préalpes d'Azur, territoire à plus de 70% boisé, sont soumis à de nombreuses menaces (stress hydrique, attaques parasitaires, dépérissements, risques incendie) à cause des bouleversements environnementaux (Vennetier, 2023). Dès lors, comme le révèlent la Charte forestière du Parc et l'enquête auprès des gestionnaires, l'adaptation et la lutte contre le changement climatique apparaissent comme les enjeux vitaux de la filière forêt-bois. En effet, face à ce contexte d'incertitude, les forestiers considèrent que leur mission consiste à accompagner l'adaptation des espaces forestiers dépérissants, tout en augmentant la production de bois.

Cependant, la nécessité et l'opportunité de gérer les forêts s'inscrit également dans un contexte d'écologisation de la société (Richou, 2020). En effet, les forêts, devenues par métonymie, l'archétype de la nature (Harisson, 2010), sont des lieux de tension où s'opposent des visions à propos de leur gestion. Les coupes et les plantations cristallisent ces frictions qui interrogent, plus largement, ce que doit être une « bonne » gestion (impact paysager et sur le sol, variétés des essences plantées, conséquence pour la biodiversité, retombées économiques, etc.). Ces attentes semblent se surimposer à la mission principale confiée aux forestiers, à savoir la préservation et production de la ressource en bois (Pares, 2018).

C'est à partir de ce cadre sociétal que nous reviendrons sur la concertation de la charte forestière de territoire. Durant deux ans, cet exercice a permis de mettre à jour les revendications agroforestières des paysans (Van der Ploeg, 2014 [2008]) des Préalpes d'Azur. Ces acteurs, eux-mêmes, touchés par le changement climatique redéployent des savoir-faire dans le but d'améliorer la résilience des systèmes agricoles (sylvopastoralisme, fourrages ligneux, etc.), tout en contribuant à l'adaptation des forêts (dépressage, entretien de la biomasse, sélection des essences...).

Dans ce deuxième point, nous expliquerons que leurs discours, propositions, critiques et projets sont aussi à lire comme une autre manière d'habiter (Mathieu, 2014) l'agriculture et la forêt (Raymond, à paraître). En effet, par le biais de ces énoncés et pratiques, ces paysans pointent du doigt un certain modèle de gestion de la forêt, peu ou prou imaginé, ainsi que les limites écosystémiques et productives de la séparation entre les espaces agricoles et forestiers.

De fait, dans une dernière partie, nous verrons que ces regards et pratiques, en provenance d'acteurs qui ne sont pas issus de la gestion forestière, questionnent la légitimité des forestiers ainsi que la multifonctionnalité, les objectifs et modalités de gestion, ce qui contribue, par là-même, à l'adaptation des discours et manières de faire des gestionnaires.


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